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>>Tristana Pimor. "Zonards. Une famille de la rue"

27 novembre 2014

Voici enfin un ouvrage de recherche en sociologie qui parle des zonards, ces jeunes qui revendiquent leur rupture sociale comme étant un choix de vie. Je dis cela après avoir signé trois livres portant sur ces jeunes, en appui sur les travaux du réseau « Jeunes en errance », livres ancrés dans l’expérience pratique et tentant de tirer les fils d’une compréhension construite collectivement.
Il s’agit ici du produit d’une thèse en Sciences de l’Education qui a reçu le prix Le Monde de la recherche universitaire, et que publient dans ce cadre les prestigieuses P.U.F. Depuis sa soutenance l’auteure est devenue maitre de conférences à l’université de Créteil. Voici un beau départ, mérité, dans la carrière universitaire.
Zonards est le produit d’une démarche d’observation participante conduite pendant plusieurs années au plus près de groupes de la zone, et en particulier d’un groupe-collectif structuré et structurant, La Family. Mais dire « observation participante » ne qualifie pas le travail de fond effectué. L’auteure est allé partager dans la longue durée les activités quotidiennes du groupe, y a gagné une place, accédant peu à peu à un statut hybride de membre-invitée. Ses réflexions sur sa posture, sa place, sur sa gestion des interactions montrent combien cette démarche, complexe, était réfléchie. Voici le premier intérêt de cet ouvrage : dans la droite ligne des fondateurs de l’Ecole de Chicago, la présentation d’une démarche qui croise ethnologie et sociologie, ce que l’on nomme aujourd’hui anthropologie sociale.
Le second intérêt, central, est dans les contenus rapportés et analysés. Le produit des observations ethnologiques est disséqué, déconstruit, problématisé, puis reconstruit dans la recherche de significations qui échappent ainsi aux constructions intuitives. L’analyse mobilise bien entendu les acquis de la sociologie de la déviance, mais également des réflexions et des constructions ne se limitant pas aux champs de l’exclusion et de la marginalité. En particulier l’approche des relations d’autorité et de pouvoir internes au groupe, la question de la production d’une culture originale, l’utilisation des concepts de la criminologie, permettent de se décentrer des approches par la souffrance au profit de lectures beaucoup plus transversales des comportements humains.
On saluera également la volonté affirmée de ne pas se laisser enfermer dans une approche misérabiliste ou déficitaire de la zone au profit de la recherche de capacités d’agir, de projets, et de l’identification des possibilités de sortir « par le haut » de la carrière zonarde pour entrer dans une carrière active de traveller.
La construction d’une pensée à partir de la monographie d’un groupe, de ses satellites et des rencontres qu’il a permis, marque cependant une limite de l’ouvrage. Pour bien connaitre la galaxie des formes d’errance dans la zone, il semble que le groupe observé était composé de personnes aux bases psychologiques à peu près solides, ayant échappé durant leur minorité aux pratiques destructrices des successions de placements qui sont autant d’échecs, donc en capacité d’estime de soi, d’action collective et de projection. Ce qui n’est pas le lot commun, moyen, de l’ensemble des zonards. Rappelons que 50% de ces jeunes sont passés par les circuits de l’Aide Sociale à l’Enfance et en sont sortis avec des dynamiques psychologiques invalidantes, et que cette population comprend environ 30% de personnes souffrant de graves troubles psychologiques. Cette remarque n’invalide pas la recherche menée, ni ses conclusions ; mais ce travail doit être relativisé afin de ne pas laisser croire qu’il s’agit là d’une photographie représentative de l’ensemble de la zone.
Une autre critique, qui échappe largement à l’auteur, est le constat de l’effet de l’extrême cloisonnement qui existe en France entre les sciences sociales et les sciences humaines. Chez nous les hybridations n’existent pas, et ceci conduit les sciences sociales à ignorer radicalement ce qui chez chacun est lié aux effets de l’histoire et de la vie sur l’inconscient, et qui dicte évidemment un certain nombre de comportements de fuite et de faux choix de vie pouvant alimenter une posture de revendication alors qu’il s’agit surtout de se survivre à soi-même. Olivier Douville, originaire des sciences humaines, propose actuellement une ouverture de l’approche psychanalytique vers l’anthropologie sociale afin de construire une compréhension croisée de l’errance ; à quand une démarche symétrique engagée par des chercheurs en sciences sociales ?

François Chobeaux


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